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LE GRAND ORAL DU CRFPA
I - Le texte de base
Aux termes de l’art. 8 de l’arrêté du 11 septembre 2003 fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle des avocats, les épreuves d’admission comprennent :
« 1o Un exposé de quinze minutes après une préparation d’une heure, suivi d’une discussion de quinze minutes avec le jury, sur un sujet relatif à la protection des libertés et des droits fondamentaux permettant d’apprécier l’aptitude à l’argumentation et à l’expression orale du candidat ; la note est affectée d’un coefficient 3 ».
II - Analyse des points clés
– « Un exposé », c’est-à-dire un développement par lequel il s’agit de porter à la connaissance et à la compréhension du jury un ensemble de faits, de points de droit, d’idées, sous la forme d’une analyse globale.
Il faut avoir à l’esprit, pendant la préparation, que le jury attend que cet exposé, même oral, soit le résultat d’une construction. Il doit être ordonné avec méthode, et comporter une progression pour parvenir à convaincre le jury que la présentation du sujet est la meilleure. Si une dynamique est trouvée, vous aurez de très bonnes chances d’emporter l’adhésion des examinateurs, quelle que soit l’opinion que ceux-ci peuvent se faire du sujet. Il ne s’agit pas, en effet, de vérifier que vous avez pris le « bon » parti mais plutôt d’apprécier votre savoir-faire dans la construction d’un exposé.
– D’une durée « de quinze minutes ». On le voit, l’arrêté du 11 septembre 2003 détermine expressément le temps imparti et constitue donc un paramètre objectif de l’épreuve, un point sur lequel vous serez évalué.
Il faut bien comprendre que ce critère n’est pas anodin ou artificiel, créé pour les besoins de l’épreuve et sans autre volonté que de vous mettre « sur le grill ». Il a en réalité au moins deux justifications que vous découvrirez très vite lors de l’exercice de la profession d’avocat.
La justification dite théorique correspond à une exigence minimale de substance, c’est-à-dire qu’il est tout de même difficile, en moins de quinze minutes, de faire le point sur un sujet d’une certaine ampleur. Il y a un temps minimum incompressible en deçà duquel un sujet relatif aux droits et libertés fondamentaux n’est finalement pas traité, mais seulement évoqué, et vous devez absolument réaliser ce que cette réalité implique quant à la teneur de votre exposé. Ce n’est pas tant « tenir » quinze minutes qui constitue l’objectif, mais plutôt de comprendre que le type de sujet proposé lors du grand oral est généralement vaste et se doit donc d’être expliqué dans toutes ses dimensions. Lorsque vous vous présentez au jury, vous ne devez pas être déjà en partance : il faut vous installer, prendre le temps nécessaire pour procéder à une analyse approfondie que les examinateurs écouteront avec d’autant plus d’intérêt qu’elle sera riche.
À l’inverse, la durée de quinze minutes ne doit pas être comprise comme une durée-couperet ou plancher, au sens où il serait sous-entendu qu’il faut aller au-delà pour être bien noté sur ce paramètre. On le voit parfois avec certains candidats, aller au bout du sujet est une chose, s’« éterniser » — presque volontairement — en est une autre, et c’est ici rejoindre la deuxième justification à ce temps fixé, l’aspect dit de pratique professionnelle de l’épreuve dont il vous faut bien avoir conscience.
Les exigences de la justice moderne ne s’accommodent plus de plaidoiries longues à l’excès lorsqu’un dossier ne le mérite pas et ce même dans une procédure orale où la parole a la prééminence. À une époque où les audiences doivent traiter plusieurs dizaines de dossiers par demi-journées, on plaide désormais beaucoup plus par simples observations, en tout cas en matière civile et dans les procédures écrites, et il peut même arriver devant certaines juridictions que les audiences soient planifiées en fonction du temps de plaidoirie indiqué par les avocats. Cela veut dire que la maîtrise du temps est capitale en pratique, et qu’une plaidoirie trop longue devant le tribunal peut presque devenir contre-productive.
C’est exactement la même chose lors du « grand oral » : la maîtrise de la durée est avant tout maîtrise de soi-même, vous devez prendre garde à ne pas vous répéter ou « délayer », et montrer que vous avez compris ce que sont les exigences de votre future profession, maturité à laquelle l’avocat et le magistrat examinateurs seront particulièrement sensibles au moment de la notation. Quant à l’universitaire constituant le troisième examinateur de l’épreuve, il n’est pas exclu qu’il vous coupe la parole pour vous demander de terminer en quelques secondes si, au terme des quinze minutes, l’exposé est visiblement loin d’être achevé. Dans cette hypothèse d’un dépassement du temps, voire d’une interruption par le jury, l’objectif essentiel d’un exposé équilibré n’aura pas été atteint.
Il reste que cette durée ne peut pas non plus être conçue comme un absolu à respecter à la dizaine de secondes près. Il est difficile de se calibrer sur quinze minutes exactement, du fait des circonstances particulières à chaque passage : ampleur du sujet, débit de parole du candidat, etc. Dans ces conditions une fourchette raisonnable de temps peut se situer entre treize et seize minutes maximum, le jury comprenant parfaitement qu’une certaine souplesse est nécessaire, et inévitable en « situation ».
– « Après une préparation d’une heure ». C’est cette durée octroyée pour construire et organiser l’exposé qui doit conduire à vous rassurer.
Si l’on part du principe que l’épreuve ne se présente pas comme une récitation ou un énoncé linéaire de connaissances encyclopédiques, mais plutôt comme un exercice à partir d’un document que vous avez sous les yeux et que vous devez exploiter, une heure de préparation paraît suffisante pour prendre connaissance du sujet, le comprendre et écrire les grandes lignes d’un argumentaire. Il ne s’agit pas d’être exhaustif dans la mesure où les sujets de droits et libertés fondamentaux sont vastes et difficilement épuisables, mais plutôt d’être capable d’en faire ressortir les aspects principaux et les grands enjeux du point de vue d’un futur auxiliaire de justice.
Le traitement du sujet consiste donc en une synthèse, et le temps de préparation d’une heure doit être utilisé à bâtir les grandes lignes de celle-ci sur la base desquelles, à l’oral, vous développerez votre exposé, la parole prenant alors le relais de l’écrit.
Concrètement, la durée d’une heure permettra de réfléchir à un plan de base de l’exposé, en deux grandes parties en général, parties conçues comme dialectiques ou en tout cas mettant en exergue le ou les grands balancements du sujet, ainsi qu’à une introduction de quelques minutes, importante pour situer celui-ci dans son contexte et avancer sa problématique générale. Pour faire ce travail et élaborer cette structure de base, vous pourrez comme un avocat préparant un jeu de conclusions le fait en s’aidant de pièces ou documents, « utiliser les codes et recueils de lois et décrets annotés » et vous « servir de codes ou recueils de lois et décrets ne contenant aucune indication de doctrine ou de jurisprudence sans autres notes que des références à des textes législatifs ou réglementaires » (arr. 11 sept. 2003, art. 11). Cette possibilité de consulter les textes, accompagnés d’annotations, pendant le temps de préparation montre que c’est un véritable travail de « juriste » qui est attendu : un exposé et une analyse d’un sujet dans toutes ses dimensions, non une récitation scolaire des connaissances relatives à ce sujet.
– « Suivi d’une discussion de quinze minutes avec le jury ». C’est la deuxième partie de l’épreuve orale, peut-être la plus difficile.
Premièrement, cette discussion vient après l’exposé de quinze minutes et, même si vous ne le ressentez pas forcément, vous êtes peut-être déjà dans un état de relative fatigue qui risque de diminuer votre aptitude à vous entretenir avec chaque examinateur du jury pendant également quinze minutes. Il vous faudra donc être encore capable de vous repositionner pour, d’« exposant », devenir « écoutant » et « répondant ». C’est là que réside la véritable difficulté de l’épreuve orale, car jusqu’à présent les examinateurs professionnels ne sont pas encore intervenus mais vont maintenant vous évaluer en temps réel sur une question que leur pratique professionnelle d’avocat ou de magistrat les a peut-être amenés à connaître, et dont ils aimeraient avoir votre point de vue au travers d’une sorte de mise en situation.
Il y a beaucoup à gagner à être conscient qu’« au bout de quinze minutes tout commence » et que tout va se jouer maintenant : le candidat qui démissionne pendant les questions, ou, plus gravement, dont le jury perçoit qu’il a mentalement arrêté l’exercice après l’exposé, n’a pas saisi la psychologie de l’épreuve qui est le contraire même du renoncement et de l’esprit de la profession d’avocat : une « discussion » constante. Il risquerait fort d’être sanctionné… Il faut le répéter : l’avocat est un contradicteur, vous devez montrer aux examinateurs que vous l’avez compris et voulez en faire votre métier, positionnement d’autant plus important si la deuxième partie de l’épreuve doit rattraper un exposé que vous savez avoir été moyen…
– « Sur un sujet relatif à la protection des libertés et des droits fondamentaux ». C’est peut-être l’aspect le plus conventionnel de l’épreuve : un programme à connaître, mais votre bonne maîtrise de ces connaissances de fond est importante, et attendue par le jury. L’avocat, en effet, est en première ligne pour la défense des droits et libertés fondamentaux de ses clients, et les examinateurs, particulièrement l’avocat en exercice composant le jury, seront particulièrement attentifs à vérifier que vous avez acquis une solide connaissance de leur contenu.
Sous le bénéfice de cette observation, le programme est relativement vaste, l’annexe de l’arrêté du 11 septembre 2003 le déclinant en trois grandes rubriques : d’abord, les « origine[s] et sources des libertés et droits fondamentaux », ensuite le « régime juridique des libertés et droits fondamentaux », enfin « les principales libertés et droits fondamentaux ». Sur la base de cette trilogie, qu’il paraît nécessaire de travailler à partir d’une bibliographie solide au-delà des enseignements dispensés par les IEJ, les sujets pourront porter sur des domaines extrêmement variés pourvu qu’ils illustrent la mise en œuvre d’une liberté fondamentale ou sa sanction, et les candidats doivent également s’attendre à ce qu’ils prennent diverses formes : décision de justice, texte de loi, article d’un journal, etc.
Cette diversité constitue une difficulté pour le candidat, qui doit s’attendre à travailler à partir de documents ne présentant pas toujours des points communs : on n’aborde pas de la même façon une décision de justice ou une coupure de presse, et la préparation ainsi que l’exposé lui-même doivent donc être adaptés au type de sujet même si le cadre général de l’épreuve, la protection des libertés et droits fondamentaux, reste inchangé.
Cette adaptation à la forme du sujet est capitale parce qu’elle est à l’image de l’adaptation permanente qu’exige la profession d’avocat, notamment à l’audience face aux magistrats ou à ses confrères où « rien ne se passe jamais comme prévu » et où il faut, en temps réel, « faire avec » pour assurer au mieux la défense de son client. Le jury y sera bien évidemment très attentif.
– « Permettant d’apprécier l’aptitude à l’argumentation » du candidat. Nous le disions plus haut, l’épreuve orale de libertés et droits fondamentaux est tout sauf une récitation banale de connaissances apprises par cœur. Autrement dit, lors de votre préparation d’une heure, il ne faut pas vous borner à faire une morne paraphrase du sujet qui sera déclamée pendant quinze minutes, mais, plus que cela, construire votre exposé comme un argumentaire qui fera apparaître tous les aspects d’une décision rendue par un juge, d’une position prise par une association, etc. Ce qui est attendu, c’est une réflexion d’ensemble, complète : celle d’un juriste qui souhaite devenir professionnel du droit et ne peut donc plus se permettre, à ce stade d’un « grand » examen, d’avoir une vision réductrice ou en tout cas de n’aller que dans un sens, celui que le sujet propose.
Le texte le dit bien, le sujet relatif à la protection des libertés et droits fondamentaux « permet » d’apprécier l’aptitude à l’argumentation du candidat : il est un prétexte, quel que soit son thème, à évaluer cette aptitude dans la construction d’un exposé ouvrant un dialogue et dans les réponses aux questions du jury.
– « Et à l’expression orale du candidat ». Ce paramètre est lui aussi d’une grande importance : comment communiquer et convaincre des examinateurs qui chaque jour, au prétoire ou dans les amphithéâtres, doivent s’exprimer pour exercer leur profession, si votre expression orale n’est pas soignée ou en tout cas pas surveillée ? Il faut être bien conscient que « tout » passe par la parole lors de cette épreuve qui ne comporte pas, à son issue, de dépôt par celui-ci de ses notes à l’image, par exemple, du dépôt du dossier de plaidoirie par les avocats.
Dans ces conditions, la qualité de l’expression orale sera appréciée, d’abord, à l’aune de la force de conviction qu’elle véhicule. Une expression morne qui ne cherche pas à convaincre, sans intonations ni percussion, ne sera pas à la hauteur des attentes du jury, elle montrera seulement que le candidat, au-delà d’une dose de stress compréhensible, n’a pas compris le sens de l’épreuve voire l’esprit de la profession à laquelle il se destine. Ensuite, la qualité de l’expression orale, mise au service du contenu du message, est également tributaire de sa forme : du choix des mots et de leur débit, du volume de la parole, etc.
Il faut vous efforcer de vous exprimer avec simplicité et sobriété, librement mais sans aucune familiarité de langage, avec le plus de clarté possible pour être compris et permettre à la discussion de s’engager. L’écueil à éviter peut être de trop vouloir « substantialiser » le propos, de le compliquer. Plus l’expression sera fluide et manifestera une conviction, mieux celle-ci apparaîtra.
Conclusion
L’épreuve orale d’exposé-discussion est donc un exercice d’une réelle difficulté, l’épreuve-phare de l’admission au CRFPA puisqu’elle est affectée d’un coefficient trois. Ses trois volets : préparation, exposé du candidat, discussion avec le jury, sur une durée étalée d’une heure et demie la rendent difficile d’appréhension et fatigante nerveusement ainsi que physiquement. Les candidats n’ont en principe jamais été confrontés, dans leur cursus universitaire, à un oral de ce type, et il est donc hautement souhaitable qu’ils suivent les entraînements à cette épreuve dispensés par les Instituts d’études judiciaires mais aussi que, de leur côté, ils s’y préparent en intégrant les fondamentaux qui viennent d’être rappelés. Il n’y a toutefois rien d’insurmontable : un « exposé » reste toujours, peu ou prou, une présentation structurée, qui doit comporter une introduction générale et un plan de base permettant de traiter le sujet dans toute son ampleur, et la discussion qui suit avec le jury ne doit pas être conçue comme la confrontation à un peloton d’exécution, bien au contraire. Celui-ci est toujours bien disposé à l’égard du candidat qui a dépassé le stade des épreuves d’admissibilité, prêt à l’écouter avec intérêt et à discuter avec lui d’une « belle » question de libertés et droits fondamentaux, et, sauf accident ou défaillance, à l’« accueillir » dans la profession…
Olivier Salati
Maître de conférences HDR Aix-Marseille Université
Directeur de l’Institut d’études judiciaires
de la Faculté de droit et de science politique
d’Aix-en-Provence
Directeur du Master II P Contentieux et procédures civiles d’exécution
Cette méthodologie est issue de l’ouvrage Libertés et droits fondamentaux 2015 coordonné par Rémy Cabrillac. |
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